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Chronique Animale - Épisode 11 : Manger ou être mangé chez les grenouilles cannibales

08/04/2021

Le cannibalisme est une pratique courante chez les amphibiens et il n’est pas rare d’observer, juste après leur éclosion, des têtards dévorant leurs congénères plus petits. Cette habitude alimentaire est une adaptation bien pratique pour achever son développement dans des zones humides éphémères et aux ressources limitées. Pour éviter de voir leur progéniture finir dans l’estomac du petit voisin, les parents ont plus d’un tour dans leur sac…

Chez certaines espèces de dendrobates, par exemple, les mâles vont déplacer les jeunes têtards sur leur dos pour les mettre à l’abri dans des petites poches d’eau loin des congénères trop virulent. En fait, chez les grenouilles, la clef de la survie des jeunes dépend avant tout des parents. L’idéal pour ces derniers serait de pondre dans des zones dépourvues de danger mais la rareté de tels sites rend la tâche impossible.

Alors quand chaque petite mare ou petite flaque est déjà occupée, ils en tiennent compte. Ainsi, chez Thoropa taophora, une grenouille endémique des forêts humides de la côte atlantique du Brésil, les femelles évitent de pondre dans des zones où des œufs de leur apparentés ont déjà été déposés. Si les têtards doivent se dévorer entre eux, au moins qu’ils évitent de manger leurs proches parents, demi-frères, demi-sœurs ou cousins.

Récemment, une équipe australienne a constaté que, chez la grenouille de Fletcher (Lechriodus fletcheri), les mères pouvaient influencer le devenir de leur progéniture en sélectionnant leur site de reproduction sur la base de la présence d’autres pontes. À partir d’une série d’expériences dans des bassins artificiels, les scientifiques ont montré que les mamans grenouilles préféraient pondre dans des bassins qui contenaient déjà des œufs de congénères, alors qu’elles évitaient de le faire dans les bassins où se trouvaient des têtards. Pourquoi les grenouille de Fletcher font elles cette différence ?

Dans la première situation, les chercheurs pensent que si pondre dans un bassin contenant déjà des œufs offre des coûts en matière de compétition pour les ressources trophiques entre les futurs têtards, cela procure aussi des bénéfices via la pratique du cannibalisme. C’est un risque à prendre. Les premiers éclos seront les premiers servis, mieux veut éviter de naître en dernier… Dans la seconde situation, déposer ses oeufs au milieu des têtards est une stratégie perdante à coup sûr. Les petits têtards naissant au milieu des grands, la partie est fichue d’avance. Les grenouilles de Fletcher s’y refusent et, pour éviter que leur progéniture ne soit victime de cannibalisme avant ou juste après l'éclosion, elles délaissent ces zones trop dangereuses. L’histoire ne nous dit pas comment les mères sont capables de faire la distinction entre les bassins abritant des œufs et ceux avec des têtards. La faculté des femelles de pouvoir interpréter la présence d’autres pontes en différenciant œufs et têtards intrigue. Cela souligne aussi la complexité des processus de décisions chez les amphibiens lorsqu’ils sélectionnent des sites de ponte.

 

Gould J., Clulow J., Rippon P., Doody J. S. et Clulow S., « Complex trade-offs in oviposition site selection in a cannibalistic frog », Animal Behaviour, vol. 175, 2021, p. 75-86.