Chronique Animale - Épisode 12 : Amour et pénis jetable
26/04/2021
Les deux corps glissent l’un vers l’autre sur le fond de l’océan et s’enlacent. C’est la saison des amours chez les nudibranches, adorables gastéropodes marins aux mille couleurs semblables à des limaces de mer.
Comme tous les nudibranches, le doris réticulée, Chromodoris reticulata, est un organisme hermaphrodite. Un hermaphrodite simultané pour être plus précis. Lors de l’accouplement, chaque individu est simultanément mâle en tant que donneur de sperme et femelle en tant que receveuse. Un échange réciproque de bons procédés favorisé par la sélection naturelle lorsque la densité des individus est faible au fond des abysses. Quand les rencontres amoureuses se font rares, il est en effet avantageux de profiter de chaque occasion pour s’échanger ses gamètes.
Chez notre « limace de mer » des chercheurs japonais ont réalisé une curieuse observation. Les individus avaient la fâcheuse habitude de se séparer de leur pénis. À la façon des lézards qui perdent leur queue pour échapper aux griffes du chat, nos nudibranches ont un pénis jetable. Quelle curieuse coutume et pour quel bénéfice ? À qui les nudibranches jettent-ils leur organe masculin en pâture ? Une étude approfondie de ce phénomène s’imposait. Les chercheurs ont ainsi découvert que les autotomies du pénis, c’est-à-dire la perte volontaire de leur organe, survenaient après chaque copulation. À la suite de l’abandon de son phallus, ils ont estimé que le nudibranche n’a besoin que de vingt-quatre heures pour le reconstituer avant le prochain accouplement. Autre particularité et non des moindres, la surface du pénis est couverte d’épines orientées vers l’arrière (chez d’autres espèces de nudibranches le pénis peut avoir des crochets à son extrémité). Généralement les crochets et autres épines des sexes masculins servent à garantir un ancrage solide pendant la copulation pour éviter aux mâles d’être éjecté par la femelle ou un concurrent. Mais chez notre limace, rien de tel. Personne n’a jamais vu un combat de nudibranches lors des accouplements…
Le mystère du pénis autotomisé a trouvé son épilogue avec l’observation d’amas de spermatozoïdes systématiquement emmêlés aux épines. Cette découverte suggère que les nudibranches enlèvent le sperme déjà présent chez leur partenaire d'accouplement pour favoriser leurs propres spermatozoïdes. C’est une adaptation à la compétition spermatique. De telles techniques sont connues chez d’autres espèces comme les agrions, petites libellules colorées, dont le sexe du mâle est affublé d’une sorte de brosse ou de peigne qui lui permet de retirer les spermatozoïdes déjà présents dans le tractus génital de la femelle suite à un précédent accouplement.
Chez nos limaces de mer, cette révélation prouve que les accouplements ne sont peut-être pas si rares qu’on le pensait. De quoi modifier notre vision de mondes sous-marins paisibles...
Sekizawa A., Goto S. G., et Nakashima Y., « A nudibranch removes rival sperm with a disposable spiny penis », Journal of Ethology, vol. 37, no 1, 2019, p. 21-29.