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Chronique Animale - Épisode 13 : Le tir à la corde des lombrics

11/05/2021

Savez-vous que le tir à la corde est le sport favori des vers de terre ? À la fin de l’été, les pluies d’orages offrent un terrain de jeu idéal à la surface de la prairie. Dans l’humidité ambiante, il est possible d’observer deux vers de terre solidement agrippés l’un à l’autre. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une épreuve de force, mais est-ce bien le cas ?

D’ordinaire solitaire, retiré dans le fond de ses galeries, le ver de terre remonte à la surface à la recherche d’une amoureuse ou d’un amoureux. L’épaississement du clitellum, ce renflement caractéristique des téguments, ces tissus vivants situés quelques centimètres derrière sa bouche, traduit sa maturité sexuelle. Il est prêt pour sa quête. Chez les lombrics l’accouplement a lieu à l’air libre. Mais la surface est un univers dangereux et les prédateurs, oiseaux et mammifères, y sont nombreux. Les vers de terre attendent donc préférentiellement la nuit pour plus de tranquillité…

Pour ne pas s’exposer totalement lors des accouplements et se mettre ainsi en danger, les deux partenaires sortent partiellement de leurs terriers, prenant soin de garder une partie de leur corps solidement ancré dans le sol. Chercher un partenaire autour de son refuge limite le choix. Mais il ne faut pas croire que le ver de terre saute sur le premier venu. Même cloué au sol, il effectue avant l’accouplement une parade sexuelle qui ressemble à une invitation à la luxure le temps d’une soirée. Des lombrics voisins mettent ainsi régulièrement leur tête dans le terrier de l'autre. Ce n’est pas une visite de courtoisie mais une invitation. L'individu visité peut décider de suivre ou non le visiteur qui se rétracte lentement jusqu'à l'entrée de son logis et vice versa. Ce va et vient se reproduira plusieurs fois, précédant la plupart des copulations. Il est interprété comme une parade nuptiale. Mais que cherche à évaluer notre ver de terre lors de cette cérémonie ?

En 2001, une équipe allemande émet l’hypothèse que ce comportement de visite des terriers aurait pour fonction d’estimer la qualité des voisins. Le diamètre du terrier étant lié à la taille de l'occupant, les individus pourraient visiter les terriers pour évaluer leur taille. Celle-ci peut indiquer la santé, la vigueur ou la fécondité des individus. Les grands vers de terre ayant tendance à produire des cocons plus lourds et une progéniture plus grande, tout le monde devrait préférer les grands. Mais le choix n’est pas si simple.

Lors de l’accouplement, les deux vers de terre accrochés l’un à l’autre exercent une telle tension que certains individus sont expulsés de leur refuge. Une fois hors du terrier ils ne le retrouvent pas toujours. Dans ce jeu du tir à la corde, plus vous êtes petit relativement à la taille de votre partenaire, plus le risque est grand. La probabilité d’être éjecté augmente aussi avec la distance entre les deux terriers. Les chercheurs s’attendent donc à ce que les petits vers de terre refusent de s’accoupler avec de grands voisins.

Le choix du partenaire, qui est compromis entre la taille de ce dernier et le risque d’être expulsé de son abri, semble être déterminé par la distance entre les deux terriers : sur de courtes distances, la taille et la qualité du partenaire l’emportent et le ver de terre préférera les grands individus, alors que sur de longues distances, la minimisation du risque l’inciterait à opter pour un individu de moindre taille.

Chez les vers de terre, au jeu du tir à la corde, sport olympique séculaire, l’important est de participer !

Michiels N. K., Hohner A., et Vorndran I. C., « Precopulatory mate assessment in relation to body size in the earthworm Lumbricus terrestris: avoidance of dangerous liaisons? », Behavioral Ecology, vol. 12, 2001, p. 612-618.