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Chronique Animale - Épisode 14 : La coquille, cet obscur objet du désir

25/05/2021

Chez le Bernard-l’hermite, la coquille est l’objet de tous les désirs et de toutes les attentions. À l’opposé des autres crustacés, le Bernard-l’hermite possède un abdomen atrophié et mou, son talon d’Achille. Pour se protéger, il doit chercher refuge dans une coquille de gastéropode qu’il trouve sur le fond de l’océan ou qu’il subtilise à un congénère.

À l’abri dans son repère, notre crustacé passe alors une vie tranquille rythmée par deux évènements récurrents. La nécessité de changer de coquille, lors de ses mues de croissance pour en acquérir une de plus grande taille, et lors de la reproduction. Ici la coquille joue un rôle central. Pour ne jamais avoir à quitter son doux refuge lors de l’accouplement, notre Bernard-l’hermite à plus d’un tour dans son sac[1].

D’abord, il possède un pénis très long, mesurant jusqu’à la moitié de la longueur de son corps, qui lui permet de s’accoupler sans quitter sa maison au risque de se la faire voler. Un pénis d’autant plus long que la coquille à de la valeur.

Ensuite, deux chercheurs japonais de l’université d’Hokkaido ont observé un comportement étrange chez le pagure, Pagurus nigrofascia, une espèce décrite pour la première fois en 2016[2]. Le mâle, pour séduire une femelle, saisi fermement la coquille de cette dernière et la rapproche de la sienne. Jusqu’ici rien de bien nouveau, car chez le Bernard-l’hermite le mâle a pour habitude de garder sa conquête à ses côtés. Une stratégie de gardiennage pré-copulatoire bien rodée lui permettant de sécuriser sa reproduction lorsqu’il détecte une partenaire réceptive. Mais dans leur étude, Yuina Kido et Satoshi Wada ont observé à plusieurs reprises des mâles frapper leur propre coquille ave celle de la femelle. La scène est toujours la même. Le mâle tient la coquille de la femelle avec sa pince gauche, la plus petite. La pince droite, surdimensionnée, est toujours libre, c’est son arme ultime pour se protéger contre les autres mâles. Une fois la femelle bien accrochée, le mâle se stabilise avec ses pattes ambulatoires et tire vivement la coquille de celle-ci, par un mouvement de son abdomen et/ou une flexion de ses pattes ambulatoires, pour s’entrechoquer une ou plusieurs fois. Ce comportement ressemble aux « combats de coquilles » que se livrent les mâles pour s’approprier une coquille, mais ce n’en est évidemment pas un.

Généralement, les femelles résistent aux tentatives de gardiennage des mâles. Pourtant, dans cette étude, la plupart des femelles finissent par cesser de se débattre en réponse aux coups des mâles. Le tambourinage de ces derniers favoriserait ainsi l'initiation du gardiennage et de l’accouplement. Et les mâles plus petits frappent plus souvent que les plus grands, comme s’ils en avaient besoin pour séduire les femelles…

 

[1] Laidre M. E., « Private parts for private property: evolution of penis size with more valuable, easily stolen shells », Royal Society open science, vol. 6, 2019, 181760.

[2] Kido Y. et Wada S., « Males display “inverse rapping” as a mating behavior to receptive females in the hermit crab Pagurus nigrofascia », Plankton and Benthos Research, vol. 15, 2020, p. 279-288.