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Chronique Animale - Épisode 17 : Toutes les épinoches ne sont pas des papas poules

06/07/2021

La saison des amours chez les épinoches à trois épines (Gasterosteus aculeatus) est marquée par une intense activité des mâles. Ces derniers, pour courtiser les femelles, doivent faire preuve d’ingéniosité et de persévérance. La parade nuptiale reste une épreuve obligatoire, où les couleurs et la vigueur des messieurs sont mises à rude épreuve. Mais ce qui intéresse particulièrement ces dames, ce sont les constructions paternelles qui recevront leurs œufs et l’attention que les mâles porteront à leur progéniture. Au moment de la période de reproduction, ces derniers construisent un nid fait de débris végétaux agglomérés ou accaparent un terrier qu’ils prennent soin de nettoyer. Lorsque des femelles passent à proximité de l’abri, les mâles les invitent à y déposer leurs œufs redoublant d’efforts pour accueillir les fruits de leurs amours éphémères.

Par la suite, ce sont les épinoches mâles qui s’occupent des œufs. Les soins paternels ne s’arrêtent pas à la construction du nid. Durant tout le développement des œufs, ils garderont la précieuse nichée, éloigneront les prédateurs et intrus, et fourniront des soins à la couvée en la ventilant et la retournant pour assurer une oxygénation optimale. Si besoin, ils supprimeront les œufs malformés. Tout ceci jusqu’à l’éclosion. Un travail de chaque instant, mais c’est le prix à payer pour voir sa descendance survivre. Les chercheurs Théo Bakker et Beat Mundwiler ont montré en 2021 que les mâles choisissaient les sites de reproduction les plus favorables pour alléger leur fardeau. Ils préfèreront ainsi construire un nid dans des endroits présentant une forte concentration en oxygène dissous ou une température plus élevée favorisant le développement des embryons et limitant le temps consacré à leurs soins.

Malgré tant de dévouement, les femelles restent néanmoins difficiles. Si le choix du site de reproduction et la qualité du nid sont des paramètres essentiels pour obtenir leurs faveurs, ils ne sont pas suffisants. Chez nos épinoches, les mâles arborent des couleurs flamboyantes et se lancent dans une cour vigoureuse pour attirer les femelles et les inviter à pondre. Ainsi, il n’est pas rare que plusieurs femelles pondent successivement leurs œufs dans le même nid d’un mâle irrésistible. Mais l’habit ne fait pas non plus le moine chez l’épinoche, et les plus colorés et vigoureux ne sont pas obligatoirement les meilleurs pères. Frank von Hippel a ainsi mis en évidence en 2000 que les mâles qui avaient courtisé le plus ardemment les femelles et maintenu leur couleurs vives le plus longtemps étaient les plus incompétents question soins parentaux. En dépensant la majorité de leur énergie et de leur temps dans leur apparence, ils sont épuisés au moment de s’occuper des œufs. Les mâles qui n’avaient pas réussi à mener à bien leur mission de père se distinguaient des autres par leur fort investissement dans l'obtention des faveurs des femelles et des pontes et le moindre soin apporté aux œufs.

Ces travaux suggèrent un compromis entre l'investissement dans la parade nuptiale et l'investissement dans les soins paternels. Il n’est cependant pas aisé de savoir quel mâle sera un éternel courtisan ou un bon père. C’est ce qui explique probablement que les femelles ne pondent pas tous leurs œufs dans le nid d’un unique mâle.

Bakker T. C. et Mundwiler B., « Nest-site selection in a fish species with paternal care », Hydrobiologia, vol. 848, 2021, p. 641-650.

Von Hippel F. A., « Vigorously courting male sticklebacks are poor fathers », Acta Ethologica, vol. 2, 2000, p. 83-89.