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Chronique Animale - Épisode 18 : Toutes les routes mènent au Nord

16/08/2021

À la fin de l’hiver, les bernaches nonettes regardent vers le nord. Ces petites oies sont des migratrices nichant dans les toundras du Groenland, du Svalbard et de la Russie, et passant leur hiver sur les côtes néerlandaises et allemandes de la mer du Nord. Ces sont des animaux grégaires et leur migration est l’occasion de regroupements impressionnants.

Traditionnellement, en remontant vers le nord, les bernaches nonettes suivent la croissance de l’herbe au printemps, s’arrêtant régulièrement en cours de route pour refaire leur réserve de graisse nécessaire à la reproduction future. Le choix des haltes sur le trajet ne se fait pas au hasard et les bernaches montrent un attachement important à leurs zones de repos. Les jeunes individus apprennent le trajet migratoire en suivant les plus âgés. Un apprentissage social qui sculpte les voies empruntées avec une fidélité impressionnante. Par exemple, la population de bernache nonnette qui migre le long de la côte norvégienne pour se reproduire sur l’archipel du Svalbard pose traditionnellement ses valises pour quelques jours à quelques semaines dans le Helgeland, la zone la plus méridionale du nord de la Norvège.

Récemment des modifications de la route migratoire des nonettes du Svalbard, vraisemblablement en réponse au changement climatique, interrogent les chercheurs. Confrontées aux modifications du climat, les espèces migratrices sociales peuvent-elles passé outre leur tradition ? L’apprentissage social peut-il aider les migrants à répondre aux changements environnementaux et si oui, comment ? Un groupe de six chercheurs ont tenté de répondre à ces questions en analysant les processus comportementaux par lesquels les bernaches nonnettes ajustent leur choix de site pour la halte printanière le long de la côte norvégienne. Ces scientifiques ont profité d’une situation aussi rare qu’exceptionnelle. La colonisation d’un nouveau site de repos, le Vesterålen, à partir des années 1990, situé 250 kilomètres plus au nord que celui du Helgeland, le site ancestral. En quelques générations, la majorité de la population s’y est déplacée.

En analysant les données de quarante-trois années de suivi, entre 1975 et 2017, sur les deux points de rassemblement, ainsi que la disponibilité en nourriture, les chercheurs pensent tenir un début d’explication.

Au sein des différents groupes d’oiseaux en migration, le choix de l’étape de transit est effectué par les membres les plus âgés. Ces derniers étant fidèles, ou peut-être plus conservateurs, plus les oies sont âgées au sein des groupes et moins ces derniers changent de site. À l’inverse, la probabilité de changement est plus forte chez les groupes avec des jeunes oies et ceci indépendamment de la qualité de la nourriture trouvée sur place les années précédentes. Autre découverte, la probabilité de changer de site de rassemblement est plus élevée les années où le nombre d’oies sur le site habituel est plus important, visiblement en réponse à la compétition pour les ressources. Ces résultats montrent que les ajustements des routes migratoires et des zones de repos sont issus de processus complexes faisant intervenir l’âge des individus et la densité des populations.

Chez les bernaches nonettes, les jeunes ont la bougeotte alors que les anciens montrent la voie.

 

Oudman T. et al., « Young birds switch but old birds lead: How Barnacle Geese adjust migratory habits to environmental change », Frontiers in Ecology and Evolution, vol. 7, 2020, 502.