Chronique Animale - Épisode 2 : L’intelligence sans cerveau ?
01/12/2020
Le cachalot possède le cerveau le plus gros du règne animal : 9kg ! Mais il n’est pourtant pas considéré comme le plus intelligent. La relation entre la taille du cerveau et l’intelligence interroge toujours.
Certes, avoir un gros cerveau est la garantie de nombreux neurones, mais d’autres facteurs, comme l’allométrie (la taille du cerveau augmente avec la taille de l’animal) ou les relations sociales, semblent aussi jouer un rôle important dans le développement des capacités cognitives.
Les chercheurs s’accordent cependant pour dire que le poids relatif des cerveaux (rapportés à la taille de l’animal donc) est un meilleur prédicteur de l’intelligence que le poids absolu de matière grise. Sarah Benson-Amram[1], de l’université du Wyoming, et ses collaborateurs ont ainsi pu montrer que les espèces carnivores dont le cerveau est plus volumineux qu’attendu par rapport à leur masse corporelle réussissent mieux des tâches complexes. Une preuve de plus de la relation entre poids du cerveau et capacité cognitive ? Cette étude compare des espèces relativement proches et rien n’indique que cette relation existe dans l’ensemble du règne animal.
En fait, chez tous les animaux, les cerveaux sont peu ou prou constitués des mêmes modules, et les différences entre espèces concernent plutôt le développement relatif de chacune des structures. Il est donc vain de chercher une relation unique entre la taille de l’encéphale et les capacités cognitives. Les individus sont adaptés à leur environnement et les structures de leur cerveau sont plus ou moins évoluées en fonction de leurs besoins. Même avec des cerveaux inégalement développés, des espèces aussi différentes que les calamars, les oiseaux ou les mammifères peuvent posséder des capacités cognitives proches. Un exemple de convergence évolutive. Quant aux insectes, leurs cerveaux sont minuscules, constitués de la fusion de plusieurs ganglions cérébraux mais ils sont pourtant capables de performances identiques à certains vertébrés (souvenez-vous de la maîtrise du concept du zéro dans l’épisode 1).
Quelle que soit leur forme, tous les cerveaux ont un point commun : le neurone. C’est l’unité de base de la transmission et du traitement de l’information. Et si la véritable interrogation n’était pas la relation entre la taille du cerveau et l’intelligence, mais le fait qu’il est possible de réfléchir sans cerveau, ni neurones ?
Le blob, tel est son nom, semble sorti d’un film de science-fiction. Cet organisme composé d’une seule cellule ressemble à un amas gélatineux de couleur jaune, rampant sur le sol et dévorant tout sur son passage. Rattaché dans un premier temps aux champignons, il est en réalité un cousin des amibes. Audrey Dussutour, chercheuse au Centre de Recherches sur la Cognition Animale de l’université de Toulouse, est une spécialiste de cette forme de vie unique sur Terre. Ses travaux ont montré que le blob pouvait apprendre à ignorer des substances qu’il considère généralement comme répulsives (telles que le sel) afin d’accéder à de la nourriture. Mieux : un blob entraîné à aimer le sel est capable de transmettre ce goût culinaire à des blobs naïfs. Deux organismes unicellulaires peuvent donc se transmettre un savoir, une expérience individuelle. Des chercheurs japonais ont mis en évidence la faculté des blobs à choisir, dans un dédale de chemins, le meilleur trajet pour trouver de quoi se substanter. Le blob apprend à reconnaître des aliments, à se déplacer dans l’espace. Rien ne semble arrêter cet être mystérieux.
Reste à découvrir comment un être unicellulaire est capable de telles performances… et comment l’intelligence apparaît sans neurones !
[1] Benson-Amram S., Dantzer B., Stricker G., Swanson E. M., et Holekamp K. E., « Brain size predicts problem-solving ability in mammalian carnivores », Proceedings of the National Academy of Sciences, no 113, 2016, p. 2532-2537.