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Chronique Animale - Épisode 3 : Dansons sous la pluie

15/12/2020

Pour un mâle, il est impossible de résister à une telle danse. Dans un enchaînement parfaitement coordonné, les femelles gibbon de Hainan exécutent de délicats mouvements de bras tandis que leurs membres supérieurs ondulent et qu’elles balancent la tête en rythme. Plus belle sera la danse, plus grande sera la chance d’obtenir les faveurs du mâle dominant et donc de décrocher un rang social élevé. Cette communication gestuelle interroge sur l'origine et l'évolution de la danse chez les primates.

La danse existe dans toutes les sociétés humaines. C’est une pratique universelle dont l’origine est difficile à dater mais que l’on retrouve sur des peintures rupestres de plusieurs milliers d’années, comme sur le site de Dahongyan en Chine. À la question de l’existence de formes de danses primitives chez nos proches cousins les primates, nous ne disposions jusqu’à récemment que des récits des primatologues qui avaient passé suffisamment de temps au contact des singes pour observer ces pratiques dans la nature.

La célèbre primatologue Jane Goodall avait observé à plusieurs reprises les chimpanzés mâles s’exhiber seul ou en petits groupes dans des démonstrations viriles, exécutant sous la pluie ce que les chercheurs nomment « la danse de la pluie ». Lorsque la pluie commence à tomber dans le cœur des forêts humides, ricochant sur les feuilles dans un écho assourdissant les mâles chimpanzés, nullement effrayés par ce vacarme, se lancent sous la pluie dans une parade énergique. Ils se balancent en rythme, tournent autour des arbres en frappant les troncs de leurs membres ou à l’aide des branches qu’ils ramassent au sol. Comment expliquer ce phénomène ? L’expérience sensorielle du bruit de la pluie dans les forêts tropicales est unique. Le choc des gouttes d’eau sur les feuilles s’entend à des kilomètres. C’est un son sourd qui enfle, similaire à un train qui avance jusqu’à ce que le mur d’eau vous avale. Sous l’orage tous les animaux se figent, trouvent refuge sous un rocher, contre un arbre ou sous les immenses feuilles des palmiers, sauf les mâles qui par moment se mettent à danser sous la pluie dans une excitation communicative.

Est-il possible que les primates non humains soient sensibles au rythme et que cela les pousse à effectuer des formes de danses primitives ? Deux chercheurs japonais, Yuko Hattori et Masaki Tomonaga de l’université de Kyoto[1], ont cherché à savoir si le son induisait un mouvement rythmique spontané chez les chimpanzés. Dans des séries d’expériences, ils ont fait écouter à des chimpanzés différents rythmes ou des sons aléatoires, et ont montré que certains singes effectuaient des mouvements rythmiques comme des balancements du corps, des mouvements de la tête, ou pouvaient marquer le rythme avec les pieds ou les mains. Certains individus répondaient plus que d’autres, ce qui témoigne d’une grande diversité de comportements.

Les résultants montraient aussi que les mâles étaient plus réactifs que les femelles, comme lors des danses de la pluie observées dans la nature, mais qu’ils pouvaient aussi effectuer des mouvements indépendamment du rythme de la musique. Certains chercheurs estiment que ces observations pourraient résulter de la perception individuelle des sons. Certains seraient aversifs ou excitants selon la sensibilité des individus, ce qui les incite à bouger davantage ou pas. Mais une autre hypothèse est que, comme chez leurs cousins humains, tous les chimpanzés n’ont pas le sens du rythme…

 

 

 

[1] Hattori Y., et Tomonaga M., « Rhythmic swaying induced by sound in chimpanzees (Pan troglodytes) », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 117, 2020, p. 936-942.