L’actualité humenSciences

Chronique Animale - Épisode 5 : Quand les goélands volent…

19/01/2021

Vols de sandwichs sur les ferries, pillages de gâteaux sur les plages, vandalisme en tout genre… Habiles voleurs et opportunistes, les goélands génèrent une inquiétude grandissante. Comme dans le film d’Hitchcock, Les Oiseaux, ils nous observent et attendent le moment opportun pour agir. En quelques années, ils sont devenus la nouvelle terreur de nos côtes. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les goélands sont des oiseaux kleptoparasites, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent du vol des ressources des autres. Un crabe dérobé à une mouette, un cornet de glace saisi dans la main d’un enfant, les restes de nos repas abandonnés dans les poubelles, un poisson subtilisé dans un filet de pêcheur, ce sont les rois du vol à l’étalage. Et rien ne semble arrêter leur insatiable appétit. Mais depuis peu, les goélands des villes semblent avoir pris la mauvaise habitude de cibler principalement les humains. Les plaintes s’accumulent en France comme au Royaume Uni notamment et la menace devient pesante.

Dans la chronique précédente, je racontais l’ingéniosité de ces oiseaux et leur capacité à innover et à apprendre les uns des autres. Au contact des humains, les goélands urbains ont vite compris que nous étions potentiellement de grands pourvoyeurs de nourriture. Dans une étude récente, Madeleine Goumas de l’université d’Exeter a donc cherché à comprendre comment les goélands interprétaient nos comportements, et a testé leur intérêt pour la nourriture ou les objets manipulés par les humains.

Dans une de ses expériences, des barres de céréales à la myrtille de 90 grammes empaquetées dans leur emballage plastique bleu étaient collées sur des tuiles brunes afin que le goéland les aperçoive mais qu’il ne puisse pas s’envoler avec son butin. La première phase consistait à choisir un goéland dans une rue, généralement perché sur un promontoire. Un expérimentateur s’en approchait alors jusqu’à une distance d’environ 8 mètres, avec dans chaque main un seau contenant chacun une barre de céréales collée à sa tuile. Une fois à bonne distance de l’oiseau, les deux seaux étaient retournés sur le sol avec la nourriture caché dessous. II ne restait plus qu’à enlever les deux seaux pour dévoiler les barres de céréales au goéland. La nourriture visible, le chercheur manipulait devant le goéland l’une des deux barres pendant vingt secondes en l’approchant régulièrement de sa bouche pour ensuite la redéposer devant lui en s’éloignant de 10 mètres. Sur 26 goélands testés, 92 % se sont approchés des deux barres des céréales et 79 % ont picoré la barre manipulée par l’expérimentateur. En remplaçant dans une seconde expérience, les céréales par un morceau d’éponge à vaisselle de couleur bleue, seuls 70 % des oiseaux se sont approchés et seulement 65 % ont picoré l’éponge manipulée par l’expérimentateur.

Les résultats suggèrent que les goélands présentent de faibles niveaux de néophobie (peur de tout ce qui est nouveau), et qu'ils considèrent la manipulation humaine comme le signal d’un objet potentiellement intéressant, surtout lorsque celui-ci est de la nourriture. Ces capacités expliquent leur extraordinaire réussite dans les zones urbaines.

Mais comment se défendre face à leur malice ? Dans deux autres études, Madeleine Goumas a analysé encore plus finement le comportement de ces oiseaux. Elle a ainsi constaté que les goélands mettaient plus de temps à s'approcher de la nourriture lorsqu'ils étaient observés par un humain. Le simple fait de les regarder dans les yeux semblaient efficace pour annihiler toute tentative malveillante. Cependant, certains individus étaient plus téméraires que d’autres et ne se gênaient pas pour voler la nourriture sous les yeux humains, nullement embarrassés de commettre un flagrant délit.

Quelle sera la prochaine étape de leur acclimatation à l’Homme ? Nul ne le sait. En attendant, les scientifiques conseillent aux promeneurs de bords de mer de manger leur sandwich ou de déguster leur glace dos au mur pour éviter toutes attaques par derrière…

 

 

 

Goumas M., Burns I., Kelley L. A., et Boogert N. J., « Herring gulls respond to human gaze direction », Biology Letters, vol. 15, 2019.

Goumas M., Boogert N. J., et Kelley L. A., « Urban herring gulls use human behavioural cues to locate food », Royal Society Open Science, vol. 7, 2020.

Goumas M., Collins T. R., Fordham L., Kelley L. A., et Boogert N. J., « Herring gull aversion to gaze in urban and rural human settlements », Animal Behaviour, vol. 168, 2020, p. 83-88.