Chronique Animale - Épisode 8 : Les dauphins aiment vivre cachés
02/03/2021
Pour vivre heureux, vivons cachés ; ce pourrait être l’adage des dauphins et tant pis pour l’Homme qui aime tant les observer.
Dotés d’indéniables facultés cognitives, vivant en groupes sociaux, disposant d’un langage complexe et d’une culture, dauphins et hommes partagent de nombreux traits. Le retour à la vie aquatique des ancêtres des cétacés il y a environ 50 millions d’année a éloigné le dauphin de ces cousins terrestres. Depuis, l’Homme observe cette créature avec un mélange de curiosité et d’envie, rêvant de nager avec la même élégance au côté de cet animal. Mais l’inverse est-il vrai ?
Jouant avec notre fascination pour les dauphins, un tourisme d’observation (le dolphin-watching) a vu le jour dans la seconde moitié du xxe siècle jusqu’à devenir, dans certains endroits, une activité extrêmement rentable. Le nombre de bateaux autour des zones propices aux observations s’est multiplié sans que l’on prenne le temps de s’interroger sur son impact sur les dauphins.
Une équipe internationale de scientifiques, menée par Lars Bejder s’est intéressée aux effets à long terme des navires de tourisme sur le comportement des grands dauphins à Shark Bay, en Australie. L’étude, publiée en 2006, visait à comparer l’abondance des dauphins dans des zones avec et sans bateaux de tourisme, sur trois périodes consécutives de 4 à 5 ans. Une première de 1988 à 1993 où l'activité de tourisme était nulle, une seconde de 1993 à 1997 où une unique licence de tour opérateur était autorisée et une dernière de 1998 à 2003 où une seconde licence fut accordée, conduisant à une augmentation du nombre de bateaux.
Les résultats ne montrent pas de différences entre les deux premières périodes, quelle que soit l'échelle spatiale utilisée pour les analyses (1 km² ou 4 km²). Cependant, après l’apparition d’un second tour opérateur en 1998, l'abondance moyenne des dauphins a fortement diminuée, de plus de 15% Les chercheurs expliquent que le déclin est dû, au moins en partie, au déplacement des animaux les plus sensibles loin des zones perturbées. Pendant la période où l'activité des navires d'excursion est devenue plus intense, l'abondance des dauphins a diminué dans les sites visités par les touristes alors qu’elle a augmenté dans les zones sans bateaux, suggérant une modification de l’utilisation de l’habitat et un déplacement des individus.
En 2003, David Lusseau de l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande avait déjà montré, dans une étude sur les effets à court terme du tourisme d’observation, que les grands dauphins réagissaient rapidement à la présence des bateaux en augmentant la durée de leur plongée pour éviter le harcèlement des touristes. Les mâles plus vite encore que les femelles et en augmentant leur temps passé sous l’eau dès qu’ils détectaient les bateaux, alors que les femelles réagissaient uniquement lorsque les interactions devenaient réellement intrusives. Cette différence est liée à la plus grande capacité des mâles à supporter la dépense d’énergie que requièrent les manœuvres d’évitement des bateaux.
Ces travaux remettent en question l’idée que le tourisme d’observation des dauphins serait bénin pour les populations de cétacés. Si ces effets ne mettent pas en péril, au moins à court terme, la population de dauphins de Shark Bay estimée à 2700 individus, un effet similaire serait dévastateur pour les plus petites populations de cétacés obligés de fuir leurs habitats préférentiels. Qu’on se le dise, si on aime les dauphins, il vaut mieux les laisser tranquilles.
Bejder L., Krützen M., et al., « Decline in relative abundance of bottlenose dolphins exposed to long‐term disturbance », Conservation Biology, vol. 20, 2006, p. 1791-1798.
Lusseau D., « Male and female bottlenose dolphins Tursiops spp. have different strategies to avoid interactions with tour boats in Doubtful Sound, New Zealand », Marine Ecology Progress Series, vol. 257, 2003, p. 267-274.