Chronique Animale - Épisode 9 : Je t’aime, moi non plus
16/03/2021
L’amour chez les araignées connaît souvent une fin tragique. Le cannibalisme des mâles par les femelles est une coutume largement répandue dont les motivations sont diverses. Chez l’Argiope frelon, splendide araignée au corps jaune rayé de noir, la polyandrie et le cannibalisme vont de pair. Mais comment les individus des deux sexes gèrent-ils cette situation pour le moins conflictuelle ?
Une des particularités de la femelle araignée est de posséder deux réceptacles séminaux dans lesquels elle garde précieusement le sperme des mâles après les copulations. Avec deux spermathèques, elle peut, en théorie, être fécondée par au minimum deux mâles, augmentant la diversité du matériel génétique masculin à sa disposition pour féconder ses œufs. Les spermatozoïdes et les éjaculats des différents reproducteurs rivalisent à l’intérieur des tractus génitaux des femelles. En réponse à cette compétition spermatique, les mâles déploient diverses stratégies comportementales et particularités morphologiques. Ainsi, chez notre Argiope, ils ont pour habitude de boucher les orifices génitaux des femelles avec leur organe reproducteur dont une partie se détache, sécurisant ainsi la fertilisation des œufs par leurs propres spermatozoïdes. Une sorte de ceinture de chasteté des araignées ! Cette stratégie du bouchon copulatoire garantit au premier mâle une fertilisation exclusive de sa semence, mais au détriment de l’intérêt de la femelle et de ses envies de diversité. C’est ici que le cannibalisme intervient.
Selon l’étude récente de Katharina Weiss, biologiste à l’université de Hambourg, les femelles pourraient ainsi dévorer le mâle après la première copulation afin de garder leur second orifice génital ouvert pour une reproduction future. Stratégie formidablement efficace mais dont la valeur adaptative tarde à s’affirmer, car face à cette réponse féminine radicale, les mâles peuvent réagir pour limiter les risques. Personne n’accepte aussi facilement de se faire dévorer même par amour… sans réagir.
Ainsi, chez l’araignée africaine Trichonephila fenestrata, dont la femelle attaque le mâle pendant la copulation, deux autres biologistes allemands, Rainer Neumann et Jutta M. Schneider, ont montré que les mâles ont pris l’habitude de donner en pâture aux femelles, pendant l’acte sexuel, une ou plusieurs de leurs pattes. Ce mécanisme automatique, appelé autotomisation, leur permet de copuler dans une tranquillité relative pendant que la vorace partenaire se délecte de leurs pattes. Ce détachement des pattes des mâles chez cette araignée africaine pourrait illustrer une transition évolutive dans laquelle un comportement anti-prédateur, l’autotomisation de parties du corps, aurait changé de fonction pour faciliter les copulations sans risque.
Chez les araignées, l’amour est un plat qui se mange froid.
Weiss K., Ruch J., Zimmer S. S. et Schneider J. M., « Does sexual cannibalism secure genetic benefits of polyandry in a size-dimorphic spider? », Behavioral Ecology and Sociobiology, vol. 74, no 9, 2020, p. 1-9.
Neumann R., et Schneider J. M., « Males sacrifice their legs to pacify aggressive females in a sexually cannibalistic spider », Animal Behaviour, vol. 159, 2020, p. 59-67.