Chronique animale - Épisode 24 : Le singe, la carotte et le bâton
09/11/2021
Chez les singes vervet (Chlorocebus pygerythru), lorsqu’un ou plusieurs singes étrangers pointent leur nez, chaque individu de la troupe peut soit décider de défendre le territoire et sacrifier ainsi son temps et son énergie pour le bien commun, soit décider de ne rien faire en comptant sur l’intervention des autres membres du groupe. Ainsi, ce n’est qu’une petite proportion d’individus, et pas toujours les mêmes, qui prend part aux conflits.
Pour ces singes qui vivent en groupes de quelques dizaines d’individus au sein de territoires qu’ils défendent âprement (voir chronique 23 « Un singe averti en vaut deux »), la logique de la défense du territoire suit les prédictions théoriques du dilemme du volontaire, un des nombreux dilemmes de la théorie des jeux. Bien que les mâles soient un peu plus gros que les femelles, ils ne sont pas les plus motivés à se battre pour leur territoire et les ressources alimentaires associées. En effet, ils sont moins dépendants de la nourriture que les femelles, pour deux raisons : leurs besoins énergétiques sont moindres (pas de jeunes à porter et à allaiter) et ils changent de troupe plusieurs fois au cours de leur vie pour chercher leur bonheur ailleurs. À l’inverse, les femelles passent toute leur existence dans le groupe où elles sont nées et sont donc viscéralement attachées à leur territoire. Or la probabilité de gagner des combats étant dependante du nombre de participants par rapport à l’effectif de combattants du groupe adverse, la participation des mâles à la défense est primordiale.
Des scientifiques des universités de Zurich et de Neuchatel et de la Mawana Game Reserve en Afrique du Sud ont donc cherché à comprendre comment les femelles des singes vervets pouvaient inciter les mâles à leur prêter main forte. En observant quatre groupes de singes vervet habitués de la réserve de Mawana, les scientifiques ont analysé la participation des membres aux combats et leurs comportements lors des périodes de non-agression qui entrecoupent les conflits entre les troupes de singes. Les résultats montrent que les femelles, dans ces moments-là, n’expriment pas les mêmes comportements avec l’ensemble des mâles de la troupe. Elles réservent le toilettage et les douces séances d’épouillage aux individus ayant participé aux batailles, et à l’inverse agressent les mâles qui ont fait défection. Lors des conflits suivants, les mâles dorlotés ou punis participent davantage aux bagarres que les mâles qui ont été simplement ignorés. Le toilettage ou l’agression fonctionnent comme des incitations sociales, elles encouragent les mâles à se battre.
Les femelles des singes vervets ont compris qu’il fallait pratiquer avec leurs mâles la politique de la carotte ou du bâton.
Arseneau-Robar T. J. M, Taucher A. L., Müller E., van Schaik C., Bshary R. et Willems E. P., « Female monkeys use both the carrot and the stick to promote male participation in intergroup fights », Proc. R. Soc. B, vol. 283, 2016, 20161817.