L’actualité humenSciences

Chronique animale - Épisode 25 : Chez les suricates, pour vivre heureux, vivons cachés dans le groupe

23/11/2021

Comme chaque matin au cœur du désert du Kalahari, la troupe de suricates (Suricata suricatta) s’éveille avec les premiers rayons du soleil. Les individus se mettent rapidement en quête de leur ration quotidienne de nourriture, insectes, scorpions et larves, sous le regard attentif des drongos brillants, guettant l’instant idéal pour leur voler leur pitance. Une partie de l’activité de chaque suricate consiste à participer à tour de rôle à la surveillance des alentours. Une mission qui commence dès 7 mois. Debout sur un promontoire, butte de terre ou tronc d’arbre, le guetteur ouvre l’œil pour alerter de l’apparition de prédateurs, qui ne manquent pas : aigle martial, serpents et félins. La présence régulière de ces prédateurs fait planer une menace constante. Les sentinelles jouent donc un rôle primordial pour le groupe et produisent six types de cris d’alarme distincts en fonction du type de menace.

Les suricates vivent dans des groupes de deux à cinquante membres dirigés par un couple dominant et un nombre variable d’assistants subordonnés. Ces derniers sont chargés de participer à la surveillance mais aussi de nourrir les jeunes âgés de quelques mois avec des insectes et autres invertébrés. Ces assistants ont généralement moins de trois ans, l’âge de la dispersion pour des jeunes adultes qui vont chercher à fonder un nouveau groupe et trouver un territoire vacant. Comme chez de nombreuses espèces sociales, la vie collective permet de répartir le temps de vigilance. Pendant que quelques-uns surveillent, les autres peuvent chercher leur nourriture dans une relative quiétude. Mais chaque suricate a un moyen de réduire son investissement personnel dans la vigilance : passer son tour et faire porter sur les autres la responsabilité de protéger la troupe. La théorie dit que dans les groupes de grande taille la tentation de moins surveiller est plus forte, entraînant de plus grandes inégalités dans la répartition du travail.

Deux chercheurs du département de zoologie de l’université de Cambridge ont analysé les contributions individuelles au sein de différents groupes de suricates sur une période de vingt ans. Il ressort que le nombre d’individus ne participant pas à la protection du groupe est effectivement fortement corrélé à sa taille. Autrement dit, plus le groupe est important, plus il comporte des individus qui vont moins participer à la surveillance. Le phénomène s’explique par le fait que dans les grands groupes, il est possible, en tous les cas pour les individus les plus jeunes ou les plus faibles, de moins surveiller pour privilégier la recherche de nourriture. En comptant sur les autres, dont les super-sentinelles qui peuvent veiller sur de grandes périodes, ces assistants passent plus de temps à s’occuper de leur propre bien être. Chez les suricates, pour vitre heureux, vivons cachés… dans le groupe.

 

Rotics S. et Clutton-Brock T., « Group size increases inequality in cooperative behaviour », Proceedings of the Royal Society B, vol. 288, 2021, 20202104.