Chronique animale - Épisode 26 : L’odeur de l’exclusion sociale chez les mandrills
07/12/2021
Au sein des groupes de mandrills, comme chez la plupart des primates, les activités d’épouillage ont un rôle important. Non seulement ces longues séances de nettoyage et de papouilles réciproques permettent de renforcer la cohésion entre les individus, mais cela améliore grandement l’hygiène de tout le monde. Rien de tel qu’un compagnon pour se faire retirer les poux invisibles que l’on a dans le dos. Comme de nombreux comportements, celui-ci a sa face sombre. Débarrasser de ses parasites un partenaire ou lui gratter la tête vous expose indubitablement à ses pathogènes. À trop vouloir se rapprocher, on prend le risque d’être contaminé. Une question se pose alors. Puisque ces comportements sociaux d’épouillage sont largement répandus dans le monde animal, il doit exister des mécanismes pour réduire le risque d'infection, mais lesquels ?
Les mandrills sont des singes formidables dont le visage coloré est unique dans leur genre. Ils vivent en harem autour d’un mâle dominant entouré de plusieurs femelles et d’individus plus jeunes. Une équipe scientifique internationale s’est intéressée aux relations entre individus en fonction de leur charge parasitaire, avec deux objectifs : regarder si les mandrills sont capables d’exercer des préférences lors des séances d’épouillage, ce qui pourrait indiquer qu'ils évitent les congénères atteints d’infections parasitaires graves, et si cela se confirme, déterminer les moyens utilisés pour distinguer les individus infectés.
Pendant deux années, les chercheurs ont suivi 25 mandrills, scruté leurs interactions sociales et déterminé leur statut parasitaire à partir de l’analyse de leur fèces. Leurs résultats confirment que les mandrills, lors des séances de toilettage, évitent les individus infestés. Une forme d’exclusion sociale puisque les parasités sont temporairement évités. En regardant plus attentivement, cette exclusion concerne les parasites transmis par voie orale et fécale, c’est-à-dire les parasites issus des fèces d’un individu et transmis à un individu sain, par la bouche. Un mécanisme similaire à celui de nos enfants lorsqu’ils se mettent leurs doigts souillés à la bouche. Ils ont aussi montré que le parasitisme modifie les effluves fécaux de l’hôte et que les mandrills utilisent justement ces odeurs pour éviter les congénères parasités.
La sélection de partenaires sociaux sains aide ainsi les primates à éviter le mauvais côté de la sociabilité : la plus forte transmission de parasites, ce que les chercheurs nomment « l’immunité comportementale ». Chez les mandrills, tout est une histoire d’odeur.
Poirotte C., Massol F., Herbert A., Willaume E., Bomo P. M., Kappeler P. M. et Charpentier M. J., « Mandrills use olfaction to socially avoid parasitized conspecifics », Science advances, vol. 3, 2017, e1601721.