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Chronique animale - Épisode 30 : La revanche des mâles

08/02/2022

La politique de la carotte ou du bâton, les femelles des singes vervets (Chlorocebus pygerythru) sont connues pour la pratiquer avec leurs mâles (voir chronique 24). Elles réservent le toilettage et les séances d’épouillage aux seuls individus participant aux combats lors de la défense du territoire, et elles punissent ceux qui font défection. Le toilettage ou l’agression fonctionnent comme des incitations sociales pour encourager les mâles à se battre. Si cette première étude réalisée par Jean Marie Arseneau-Robar et son équipe nous renseignait sur les stratégies collectives de défense du territoire, qu’en est-il de ces agressions justement ? Qui déclare et provoque les conflits avec les troupes voisines ? Qui sont les belliqueux et comment entraînent-ils leurs congénères dans des conflits hasardeux ?

Les mêmes chercheurs explorent ces questions dans leur second article, qu’ils auraient pu appeler « la revanche des mâles ». En effet, en étudiant les comportements et les relations antagonistes entre les membres d’un même groupe de singes vervets, ils ont découvert non pas, comme ils s’y attendaient, des mâles agressifs et querelleurs, mais des femelles portées sur la castagne… Ce sont elles qui déclenchent les hostilités avec les troupes voisines, et ce, pour des raisons souvent purement matérielles : il est difficile de résister à l’attrait d’un territoire mieux doté que le sien. Les chercheurs se sont donc intéressés aux comportements de la gente masculine face à des femelles au caractère bien trempé.

Ils ont observé que les mâles, après une bataille, ne restaient pas impassibles. De retour au sein du groupe dans une relative tranquillité, ils se montraient agressifs envers leurs femelles qui avaient manifesté ou avaient tenté de provoquer un conflit avec la troupe voisine, alors qu’ils ignoraient les plus pacifiques. Traitées ainsi par les mâles, les femelles visées étaient alors moins susceptibles d’agresser d’autres groupes dans le futur, preuve que les comportements des mâles avaient fonctionné – soit comme une coercition, lorsqu’ils étaient dirigés vers celles qui tentaient de provoquer une bagarre, soit comme une punition, lorsqu’ils ciblaient celles qui s’étaient récemment battues.

Les chercheurs montrent que cette stratégie masculine empêche efficacement les rencontres entre des groupes voisins de dégénérer en bagarres et désamorcent souvent les conflits en cours. Ces deux études mettent en évidence les intérêts opposés entre les sexes lors des conflits. Un exemple inédit de punition réciproque chez un primate non humain. À méditer ?

 

 

Arseneau-Robar T. J. M., Muller E., Taucher A. L., van Schaik C. P., Bshary R. et Willems E. P., « Male monkeys use punishment and coercion to de-escalate costly intergroup fights », Proc. R. Soc. B, vol. 285, 2018, 20172323.