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Chronique animale - Épisode 32 : Se couper la tête… pour survivre

15/03/2022

Les capacités d’autotomie des limaces de mer sont surprenantes. Comme les habitués de cette chronique l’ont lu, ces mollusques marins se séparent facilement d’une partie de leur corps, en l’occurrence leur pénis pour favoriser la reproduction (voir les chroniques 12 et 31). Comme chez d’autres espèces animales, l’autotomie concerne la plus souvent des parties terminales. Le pénis de nos nudibranches donc, mais aussi la queue des lézards ou les pattes postérieures des sauterelles. La régénération de la partie manquante s’opérant plus ou moins rapidement.

Plus surprenant encore, deux chercheurs japonais ont découvert récemment une forme extrême d’autotomie chez deux espèces de sacoglosses – ces petites limaces marines déjà connues pour voler aux algues leurs chloroplastes, ces petits organites qui assurent la photosynthèse, afin de les utiliser pour leurs propres besoins. En étudiant en laboratoire la biologie de leurs limaces, quelle ne fut la surprise de ces scientifiques d’observer une limace se couper la tête ! Une autotomie à la base du cou ayant pour conséquence de séparer la tête du reste du corps et des organes vitaux. Cœur, rein, intestin, tout est abandonné dans le corps autotomisé. Sur les quinze limaces étudiées, cinq se sont infligé ce châtiment radical. La suite est digne d’un film d’horreur. Immédiatement après la séparation, la tête se déplace de façon autonome. À l’inverse du corps qui dépérit, elle reste bien vivante. La coupure à la base du cou se ferme en ving-quatre heures, en sept jours le cœur se reforme et en moins de vingt jours le corps entier est reconstitué. Comme pour de nombreuses espèces pratiquant l’autotomie, la jeunesse est un gage de réussite. Ainsi, les jeunes têtes commencent à se nourrir d’algues en quelques heures là où les plus âgées meurent faute de pouvoir s’alimenter seules. C’est ici que le vol de chloroplastes d’algues est essentiel car il permet aux têtes juvéniles de survivre sans le reste du corps. Mais, se demande le chercheur, quel intérêt ? Autrement dit, pourquoi se couper la tête ?

Le plus souvent, le sacrifice d’un membre permet à une proie d’échapper à son prédateur. Le chat joue avec la queue du lézard tandis que le reptile s’éclipse. Mais, dans le cas des sacoglosses, l'autotomie de la tête prend plusieurs heures. Ce n’est donc certainement pas une stratégie pour éviter la prédation. La réalité est encore plus belle. Nos limaces de mer hébergent fréquemment des parasites dont la particularité est d’occuper la totalité du corps de leur hôte et d’inhiber leur reproduction. Les cinq individus qui se sont coupé la tête avaient tous des parasites avant leur autotomie dont elles se sont débarrassées dans leur corps tout neuf. Les chercheurs suggèrent donc que l’autotomie permettrait l'élimination des parasites internes. Une solution radicale mais terriblement efficace. Une « autotomie parasitaire » déjà observée chez des vers de terre pour contrer un parasite protozoaire.

Évacuer ses problèmes en se séparant d’un corps que l’on ne souhaite plus est donc une solution… à condition d’y survivre.

 

Mitoh S. et Yusa Y., « Extreme autotomy and whole-body regeneration in photosynthetic sea slugs », Current Biology, vol. 31, 2021, R233-R234.