Chronique animale - Épisode 49 : Les oiseaux dans l’œil du cyclone
29/11/2022
À l’approche des tempêtes, les oiseaux marins qui se nourrissent au grand large modifient leurs trajectoires de vol pour éviter les vents les plus violents. Ils contournent ainsi les tempêtes et les cyclones sur plusieurs centaines de kilomètres, quitte à s’éloigner durablement de leur zone de nourrissage habituelle. Cette prudence leur permet de prévenir les blessures mortelles et les naufrages massifs, comme cela est régulièrement constaté sur les côtes après le passage d’une perturbation. Il arrive cependant que, coincé entre un cyclone et la terre, ils n’ont d’autre choix que d’affronter les éléments au péril de leur vie. Au cœur de la tempête, leur comportement est toujours un mystère.
Une équipe de scientifiques britanniques et japonais ont cherché à comprendre la stratégie du puffin leucomèle (Calonectris leucomelas) à l’approche des cyclones. C’est un oiseau de bonne taille, mesurant quarante-huit centimètres avec une envergure d’un mètre vingt. Les chercheurs ont équipé des puffins adultes se reproduisant sur l'île d'Awashima, au Japon, avec un petit système GPS permettant de les suivre à la trace. Ce travail a duré onze années dans cette région particulière connue comme la ceinture cyclonique la plus active du monde. Les puffins qui s’y reproduisent représentent donc un modèle unique pour comprendre comment les oiseaux pélagiques réagissent à des vitesses de vent extrêmes.
Les chercheurs ont quantifié les réponses comportementales de soixante-quinze puffins qui ont été exposés à dix cyclones et tempêtes tropicales, et leurs résultats sont surprenants. Ils ont constaté que ces réponses variaient en fonction de la direction et de la vitesse des vents. Ainsi, les oiseaux étaient plus susceptibles de s'éloigner des tempêtes lorsqu'ils étaient soumis à des vents forts venant du nord et de l'est, alors qu’ils volaient vers l'œil de la tempête lorsqu'ils étaient soumis à des vents forts du sud. Par ailleurs, les données GPS montrent que les oiseaux étaient capables de se maintenir en vol même lorsque la vitesse du vent atteignait la force d'un typhon (plus de 150 km/h). Plus incroyable, en cas de vents extrêmes, les oiseaux pris en étau entre la tempête et les terres choisissaient délibérément de se diriger vers l'œil de la tempête. Ils volaient à moins de 30 km de l'œil, là où la puissance des vents est plus faible, se déplaçant avec ce dernier pendant des heures. Cette stratégie les exposait à certains vents élevés à l’approche de l'œil (supérieurs à 80 km/h) mais leur permettait d'éviter les vents côtiers les plus dangereux que l’on retrouve dans le sillage de la tempête. Ces résultats mettent en évidence la connaissance fine et la maîtrise des vents chez les puffins cherchant le calme dans la tempête.
Lempidakis E. et al., « Pelagic seabirds reduce risk by flying into the eye of the storm », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 119, no 41, 2022, e2212925119.