Chronique animale - Épisode 6 : Les maîtres des bulles
01/02/2021
Qui n’a pas joué sous l’eau avec les bulles d’air pour les regarder irrémédiablement remonter à la surface ?
De la poussée d’Archimède qui les propulse vers le haut pour fuir l’élément liquide, les cétacés ont fait un art. Celui de distordre les bulles d’airs et de les coordonner dans d’élégants balais pour piéger leurs proies.
La forme naturelle des bulles d’air prisonnières de l’eau n’est pas toujours une sphère parfaite, et la vitesse pour rejoindre la surface dépend en grande partie de leur volume et de leur forme. Lorsqu’elles font moins d’un centimètre de diamètre, elles sont parfaitement rondes et remontent à 10 cm/s. Au-dessus du centimètre, elles se déforment et vont plus vite, 30 cm/s pour une bulle de 2 cm, 80 cm/s pour les plus grosses de 10 cm.
Les cétacés au cours de l’évolution sont devenus les maîtres des bulles. Ils les utilisent pour jouer, se détendre, communiquer peut-être mais surtout chasser. La compréhension du rôle des bulles dans cette dernière activité a connu de récents progrès grâce à l’utilisation de techniques d’observations permettant de filmer, depuis le ciel, d’incroyables scènes. La plus célèbre de ces techniques de captures et sans nul doute la création d’un filet de bulles en forme d’entonnoir emprisonnant les proies, banc de krills ou de petits poissons. C’est une pèche pratiquée par les baleines à bosses que l’on observe en Alaska ou dans le golfe du Maine.
Le filet est composé de plusieurs colonnes de petites bulles soufflées à une profondeur inférieure à 20 m, par une série de mouvements circulaires. En remontant à la surface, les petites bulles s’agrègent en des bulles plus grosses pour former un cercle à l’intérieur duquel les proies sont prisonnières et où la baleine vient les avaler. Plusieurs cétacés peuvent s’associer pour constituer le filet et augmenter son efficacité.
Comparativement aux autres baleines à fanons, les baleines à bosses sont dotées de très grandes nageoires pourvues de protubérances qui améliorent leur manœuvrabilité. Là où les autres espèces chassent le plus souvent en ligne droite, les baleines à bosse, grâce à leurs capacités natatoires, peuvent effectuer des virages serrés et ce, à des vitesses variables. Ces adaptations morphologiques favorisent la maniabilité leur permettant d’effectuer les mouvements fins nécessaires pour créer les filets à bulles.
Restait à découvrir les mystères de la synchronisation des déplacements et des émissions des bulles, pour inventer le piège parfait. Dans leur étude publiée en 2011, David Wiley et son équipe, en équipant des cétacés de balises pour mesurer la vitesse des mouvements sous l’eau, leur orientation et leur profondeur, ont découvert deux types de comportement : des spirales ascendantes et des doubles boucles que les baleines utilisent pour créer leurs filets à bulles. La limite de 20 m de profondeur semble imposée par les lois de la physique de la dispersion des bulles d’air à laquelle les baleines à bosse se sont adaptées. La coordination entre individus est le résultat d’un apprentissage social.
Nul doute que les futures recherches montreront des différences culturelles entre les baleines à bosse des divers océans du globe, dévoilant une diversité de techniques de chasse à préserver.
Wiley D., Weinrich M., et al., « Underwater components of humpback whale bubble-net feeding behaviour », Behaviour, 2011, p. 575-602.