Chronique animale - Épisode 7 : Rat des villes, rat des champs
15/02/2021
Quel est le secret pour vivre en ville ? De nombreuses espèces animales ont montré leur capacité à inventer de nouveaux comportements pour exploiter les particularités du milieu urbain, des mésanges ouvreuses de bouteilles de lait aux goélands voleurs de sandwichs. Mais répondre à ces défis inédits demande des capacités exigeantes…
Les aptitudes individuelles de résolution d’un problème dépendent en effet de nombreux traits de la personnalité, comme la motivation à vouloir le résoudre, que l’on nomme la persévérance, mais aussi de la réaction face à la nouveauté, de la curiosité et de l’audace. Autant de traits comportementaux qui exposent plus ou moins les individus à des situations nouvelles et conditionnent l’apparition de comportements innovants. Tout ceci pourrait expliquer les variations dans les répertoires comportementaux que l’on observe entre individus d’une même espèce, selon qu’ils soient de la ville ou de la campagne.
Dans sa fable « Le rat des villes et le rat des champs », Jean de La Fontaine mettait en scène deux rats opposés par leurs modes de vie : le premier, opulent mais bruyant et stressant au milieu des immeubles ; le second, modeste, calme et tranquille au milieu des fleurs. Comment les rongeurs gèrent-ils ces différences ? C’est à cette question que deux chercheuses du département d’écologie animale de l’université de Potsdam, en Allemagne, et de l’institut Max Planck, Valeria Mazza et Anja Guenther, ont répondu dans un article publié au début de l’année*.
Dans une série de tests effectués sur des mulots rayés, des petits rongeurs reconnaissables à leur ligne dorsale noire du museau à la queue, les deux scientifiques ont essayé de caractériser les différences comportementales entre individus dans leurs aptitudes à résoudre des problèmes pour trouver de la nourriture. Il apparaît ainsi que les mulots urbains sont plus performants que les ruraux pour résoudre des problèmes, et ce d’autant plus si les problèmes sont complexes. Pourtant les souris rurales sont tout aussi rapides pour explorer les dispositifs expérimentaux nouveaux proposés par les chercheuses et sont même plus persévérantes que leurs sœurs des villes face à une situation d’échec. En fait, les différences dans la capacité à résoudre un problème ne sont pas dues à de la néophobie ou une prudence extrême des individus mais à d’autres caractéristiques comportementales.
Les souris urbaines ne s’embêtent pas trop à la tâche et ont une stratégie opportuniste calculée. Lorsqu’on leur offre la possibilité de résoudre un problème pour accéder à une source de nourriture nouvelle, elles essayent dans un premier temps de trouver la solution mais passe rapidement au problème suivant en cas d’échec, là où les mulots des champs s’acharnent. Cette différence dans la stratégie de persévérance est à mettre en relation avec la complexité de leurs habitats. Dans les villes, les mulots ont de nombreuses et diverses opportunités pour accéder de la nourriture. Si un problème est trop complexe, il est donc préférable de l’abandonner pour trouver une source de nourriture plus facile à exploiter. À l’inverse, à la campagne, la nourriture est rare et chaque possibilité doit être exploitée au maximum, ce qui explique la persévérance des rongeurs. Tout est question de rentabilité.
Par ailleurs, ces travaux suggèrent que les souris urbaines, en étant quotidiennement confrontées à des situations diverses, réussissent mieux les problèmes complexes par rapport à celles vivant à la campagne, un peu comme des athlètes surentraînés. Les défis complexes que les environnements anthropiques posent aux animaux influent sur les stratégies comportementales. Moralité de cette fable scientifique : tout le monde n’est pas fait pour vivre en ville.
* Mazza V., et Guenther A., « City mice and country mice: innovative problem solving in rural and urban noncommensal rodents », Animal Behaviour, 2021.