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La tête dans les étoiles - Épisode 59 : La fin d’un mystère vieux de 800 ans

05/10/2021

Règne de l’empereur Xiaozong, huitième année, sixième mois, onzième jour. Une étoile invitée est apparue dans la loge lunaire Kui en envahissant [la constellation de] Chuanshe jusqu’à l’année suivante, premier mois, dixième jour. Depuis son apparition jusqu’à ce jour se sont écoulés 185 jours. Ensuite elle a pâli et a disparu.

 

C’est avec leur style codifié caractéristique (voir épisode 5) que d’anonymes astronomes chinois du douzième siècle ont mentionné l’apparition d’un nouvel astre sur la période allant du 11 août 1181 au 6 février 1182, un témoignage qui huit siècles plus tard a beaucoup intéressé les astronomes. On sait en effet qu’un nouvel astre visible pendant de nombreuses semaines sans changer de position dans le ciel peut être soit une nova, c’est-à-dire une explosion se produisant sporadiquement à la surface d’une étoile, ou alors une supernova, c’est-à-dire, au choix, la destruction complète d’une étoile massive ou la collision entre deux étoiles de plus faible masse ayant épuisé leur combustible nucléaire. Si dans une galaxie comme la nôtre, les novæ sont relativement communes, les supernovæ sont rarissimes au point qu’aucune n’a été observée depuis l’invention du télescope il y a 400 ans. Et si le témoignage ci-dessus est particulièrement intéressant, c’est que la durée de visibilité du phénomène suggère qu’il s’agissait probablement d’une supernova, eu égard au fait que les novæ dépassent très rarement deux mois.

 

Mais les astronomes se heurtaient à un obstacle de taille : s’il s’agissait d’une explosion d’étoile, alors les débris aurait dû être observables sous la forme d’une coquille de matière en expansion rapide. Dans les années 1970, les astronomes ont cru détecter cette coquille, aussi appelée rémanent de supernova. Baptisée 3C58, celle-ci était la seule de son espèce présente au voisinage de la constellation dénommée Chuanshe, quelque part au nord de la constellation occidentale de Cassiopée mais dont les contours exacts ont été perdus, rendant cette identification assez incertaine. Et surtout, les années passant, les études détaillées de cet objet se sont précisées : ce rémanent de supernova était âgé de plusieurs milliers d’années et donc bien trop vieux pour être le résidu d’une explosion visible il y a huit siècles. Au point que l’on commença à douter de l’événement consigné par les astronomes chinois. Se pouvait-il qu’il s’agisse d’une simple nova, certes anormalement longue, mais somme toute assez banale ?

C’est la réponse, négative, à cette question qu’ont enfin apportée il y a quelques semaines une équipe européenne d’astronomes. Ils ont en effet découvert non loin de 3C58 un nouveau rémanent de supernova, plus petit, plus discret et surtout bien plus jeune, entre 770 et 1 200 ans, donc compatible avec l’âge de la supernova supposée. L’étoile invitée de 1181 était donc bien une supernova, et en prime une surprise attendait les astronomes : au centre du rémanent se trouve encore une étoile, mais dotée de caractéristiques tout à fait uniques, avec notamment une température de surface extrêmement élevée, signe qu’elle est le résidu de la collision de deux étoiles en fin de vie et que, contre toute attente, la collision n’a pas entièrement disloqué le système comme c’est ordinairement le cas, l’explosion n’a été que partielle et un astre résultant de cette fusion a survécu et recommencé une nouvelle vie d’étoile. Il a en quelque sorte ressuscité d’entre les (étoiles) mortes.