La tête dans les étoiles - Épisode 62 : Le satellite qu’on ne voyait même pas la moitié du temps
16/11/2021
Japet ne fait rien comme les autres. En 1671, l’astronome français d’origine italienne Jean-Dominique Cassini découvrait un nouveau satellite de Saturne, Japet, qui présentait une propriété étonnante. En effet, il n’était visible que pendant une quinzaine de jours consécutifs et ce uniquement quand il était situé du côté droit de Saturne. Le reste du temps – plus de 2 mois dans son orbite longue de presque 80 jours –, il était invisible. Il fallut attendre près de 30 ans et l’amélioration des moyens d’observation pour enfin détecter le satellite tout le long de son orbite, et Japet s’avéra pratiquement dix fois plus sombre quand il se trouvait du côté gauche de Saturne.
Cassini n’eut pas besoin d’attendre trois siècles et les débuts de l’exploration spatiale pour comprendre la raison de cet étrange phénomène. Il réalisa en effet assez rapidement qu’à l’instar de la Lune, Japet possédait probablement une rotation synchrone, c’est-à-dire qu’il tournait sur lui-même exactement au même rythme qu’il le faisait autour de sa planète. Ainsi, c’est une portion différente de sa surface qu’il présentait à la Terre à chaque instant de son orbite et si une partie de celle-ci était plus claire que le reste, le satellite n’était observable que pendant la portion de son orbite où c’est cette zone claire qui était tournée vers notre planète.
En revanche, les raisons des irrégularités de surface aussi marquées du satellite, sans équivalent dans le Système solaire, ne furent comprises qu’aux débuts de l’ère spatiale. Quand un satellite possède une orbite synchrone, c’est toujours sa même face qui est tournée vers sa direction de déplacement. Il possède donc une face « avant » et une face « arrière », cette dernière étant visible depuis la Terre quand, dans sa course autour de Saturne, Japet s’éloigne de notre planète, c’est-à-dire quand, vu depuis la Terre, il est situé du côté droit de Saturne. Comme la quasi-totalité des satellites de Saturne, il possède une surface gelée, en principe hautement réfléchissante. C’est le cas de sa face arrière. En revanche, sa face avant est maculée d’un matériau nettement plus sombre qui s’est sans doute progressivement déposé durant les milliards d’années de son existence après que son orbite eut croisé un nuage ténu de matériaux sombre.
Reste à identifier la cause de cette pollution cosmique. Elle est à chercher plus loin de Saturne, du côté de Phœbé, le plus distant des gros satellites de la planète aux anneaux. Celui-ci présente une orbite plus distante et plus irrégulière que celle de ses congénères, deux propriétés qui indiquent qu’il a été capturé par Saturne postérieurement à sa formation, une hypothèse renforcée par le fait que sa surface, très sombre et criblée de cratères, ne présente que très peu de glace jusqu’à une grande profondeur, ce qui indique qu’il s’est formé ailleurs. Les planétologues soupçonnent que les nombreux impacts qui parsèment la surface de Phœbé ont éjecté dans l’espace des myriades de grains de poussière sombre et que ceux-ci se sont déposés sur l’hémisphère avant de Japet, les autres satellites de Saturne, plus proches de la planète et plus éloignés de Phœbé, n’ayant pas été sujets au phénomène.
Les faces avant (à gauche) et arrière (au droite) de Japet. En bas : détail de la zone de transition entre les faces avant et arrière du satellite. Alors que l’impression visuelle évoque un sol sombre partiellement recouvert de neige brillante, c’est ici l’inverse qui se produit : le sol est brillant mais partiellement maculé de matériau sombre sur les pentes des cratères tournées vers la face avant du satellite (située en bas à gauche par rapport à l’image).
Crédit : NASA/JPL/Space Science Institute