La tête dans les étoiles - Épisode 64 : L’arlésienne qui valait 10 milliards
14/12/2021
Enfin ! Si tout se passe bien, c’est le 22 décembre prochain que sera lancé le James Webb Space Telescope ou JWST, le projet phare… et pharaonique de la Nasa. 14 ans et un budget près de six fois supérieur aux prévisions auront été nécessaires pour trouver un successeur au fort âgé télescope spatial Hubble après 30 ans de glorieux services rendus à la science.
Proposé pour la première fois à la Nasa en 1997, le JWST avait, à l’époque, un coût estimé à moins de deux milliards de dollars pour un lancement envisagé… en 2007. Mais de reports en dépassements de budget, on s’était presque fait à l’idée que ce projet titanesque ne verrait jamais le jour. Son abandon a même été envisagé en 2011, en raison de sa dérive budgétaire que rien ne semblait pouvoir arrêter.
Paradoxalement, le JWST reste moins onéreux que Hubble, mais sa mise en œuvre est particulièrement complexe. Sa taille imposante est telle qu’une seule fusée au monde, l’Ariane 5 de l’Agence Spatiale Européenne, est en mesure de l’expédier vers les étoiles. Et encore… Recroquevillé tel un origami avant le lancement dans la pourtant très vaste coiffe de la fusée, le télescope devra être déplié dans un impressionnant enchaînement de manœuvres toutes aussi critiques les unes que les autres pour atteindre sa configuration de fonctionnement. Qu’on en juge : il faudra d’abord déployer les panneaux solaires, puis l’antenne relais, ensuite commencer à rabattre les isolants qui protégeront l’optique du télescope de la lumière et de la chaleur du Soleil, puis encore éloigner le segment d’observation de l’avionique, délier les quatre mats qui vont tendre les isolants et étaler une à une les cinq couches dudit isolant. Viendra ensuite le positionnement du miroir secondaire et, enfin, celui du miroir primaire. Celui-ci, d’une taille de plus de 6,5 mètres, ne pouvait pas entrer dans la coiffe de la fusée qui ne peut contenir d’objets de plus de 4,6 m de diamètre. C’est donc un miroir segmenté en 18 unités hexagonales qui a été conçu, ce qui permet, littéralement, de le plier en trois afin qu’il tienne dans la fusée.
L’entreprise Northrop Grumman, qui a supervisé la construction de ce titanesque projet, a identifié pas moins de 344 étapes critiques dans le déploiement du télescope. Elle se veut néanmoins confiante, laissant entendre qu’un tel déploiement ne serait pas une première. L’affirmation a de quoi surprendre puisque aucun satellite connu n’a jamais présenté une séquence de déploiement aussi complexe. Mais l’industrie spatiale a sans doute déjà accompli des exploits, très discrets, dans le domaine militaire…
En tout état de cause, nul doute que le cœur de nombreux astronomes sera à deux doigts de s’arrêter de battre au moment de la mise à feu des moteurs de la fusée depuis le centre spatial de Kourou en Guyane française, et le suspens ne prendra fin qu’après l’interminable séquence de déploiement, qui durera près d’un mois. À l’issue, c’est un étrange vaisseau dont la forme évoque bien plus un bateau qu’un satellite, qui voguera pendant peut-être une décennie à 1,5 million de kilomètres de la Terre.
Successeur plutôt que remplaçant de Hubble, le JWST fera bien des choses que son célèbre cousin n’a jamais été en mesure d’accomplir. Avec son miroir primaire, il augmente de quasiment un facteur 10 la capacité de collecte de la lumière de son prédécesseur, rivalisant dans ce domaine, pour la première fois de l’histoire de la conquête spatiale, avec les télescopes au sol. Et surtout, ce miroir à la surface dorée sera bien plus performant dans le domaine infrarouge, précieux sésame pour observer la lumière des toutes premières générations d’étoiles, qui, diluée et refroidie par plus de 13 milliards d’années d’expansion cosmique, est peu à peu sortie du champ de vision des yeux humains ou des télescopes au sol pour se glisser dans le domaine infrarouge, seulement observable depuis l’espace.
Quelles merveilleuses découvertes fera le JWST ? Nul ne le sait. Seule certitude : si tout se passe bien, c’est un nouveau monde qui va bientôt s’ouvrir à la portée de notre regard.
Vues d’artiste du James Webb Space Telescope au largage de la coiffe de la fusée Ariane 5 (en haut) et une fois son déploiement achevé (en bas).
Crédit : ESA/Northrop Grumman