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La tête dans les étoiles - Épisode 65 : Et pourtant, elle clignotait

23/12/2021

Les amateurs font parfois de grandes découvertes astronomiques, mais cela ne leur vaut pas forcément une renommée éternelle, il arrive qu’ils soient bien injustement oubliés.

 

Prenons le cas de Thomas Bopp, contremaître dans une usine de fabrication de matériaux de construction de son état. Un soir de juillet 1995, il met l’œil à l’oculaire du télescope d’un ami, Jim Stevens. Alors qu’il observe l’objet Messier 70, une dense concentration d’étoiles en orbite autour de notre galaxie, il remarque à côté de celle-ci, une tache floue dont il s’empresse de demander le nom à son camarade. Celui-ci, après consultation de son atlas astronomique, lui répond qu’aucune nébulosité n’est censée se trouver là… à moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle comète. Elle sera rapidement baptisée Hale-Bopp, en reconnaissance conjointe de Thomas Bopp et d’un autre astronome amateur, Alan Hale qui l’avait découverte lui aussi, la même nuit à quelques centaines de kilomètres de là.

 

Mais tous n’ont pas eu cette chance. En 1957, lors d’une soirée porte ouverte à l’Observatoire de Chicago, une femme dont l’histoire a oublié le nom observe la Nébuleuse du Crabe, une nébulosité découverte en 1758 et dont on savait depuis 30 ans qu’elle était le résultat d’une supernova, c’est-à-dire une titanesque explosion d’étoile. Au centre de cette nébuleuse se trouvent deux étoiles dont personne à l’époque ne sait si elles sont effectivement au centre ou par hasard situées sur la même ligne de visée. L’une de ces étoiles intrigue la jeune femme qui affirme qu’elle la voit clignoter. L’astronome en charge de la visite, un certain Elliot Moore, lui répond qu’aucun clignotement de l’une ou l’autre de ces étoiles n’a jamais été observé et que ce qu’elle observe est sans doute un banal phénomène de scintillation, fréquent quand on regarde les étoiles à l’œil nu et causé par la turbulence atmosphérique. Mais l’observatrice est une pilote aguerrie, elle répond donc qu’elle connaît bien ce phénomène et que ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Du reste, la scintillation se produit parce que nos yeux captent la lumière en provenance d’un très fin faisceau (correspondant à l’ouverture de notre pupille), et n’advient plus quand on les observe avec un télescope, qui, collectant la lumière sur une zone bien plus vaste, moyenne l’effet de la turbulence. Peine perdue, Eliott Moore n’accorde aucun crédit à ses dires.

 

Et pourtant, l’étoile  observée cette nuit-là est bien située au centre de la nébuleuse. Elle est en réalité le résidu de l’explosion, c’est-à-dire le cœur de l’étoile dont les couches externes ont explosé, a, lui, implosé. Devenu fantastiquement compact, son rétrécissement s’est accompagné d’une augmentation considérable de sa rotation, suivant l’effet bien connu de la patineuse qui tourne d’autant plus vite sur elle-même qu’elle ramène ses bras le long du corps. Et comme la surface du cadavre stellaire n’a pas partout le même éclat, celui-ci semble varier rapidement du fait de sa rotation rapide, ici de plus de 30 fois par seconde. Chez un humain normal, l’œil fabrique les images en enregistrant la lumière qu’il reçoit pendant environ un dixième de seconde, un peu comme une caméra qui tournerait un film à 10 images par seconde. Mais chez certains individus, ce temps d’intégration est parfois bien plus court et il leur est possible de voir un objet clignotant 30 fois par seconde. C’est parce qu’un astronome professionnel ignorait ces subtilités physiologiques que l’inconnue de Chicago n’a pas eu l’opportunité, méritée, de rentrer dans l’histoire de l’astronomie comme découvreuse de ces cadavres d’étoiles qui ne seront identifiés qu’en 1965.