La tête dans les étoiles - Épisode 75 : Improvisation planifiée
24/05/2022
Lancée en 1989, la sonde américaine Galileo avait pour but de se mettre en orbite autour de Jupiter afin d’en faire une étude détaillée, ainsi que celle de plusieurs de ses satellites. Si la mission ne fut qu’un succès partiel en raison d’une avarie grave de son système de communication, elle réalisa néanmoins une première remarquable…
Profitant de son long périple de six ans pour atteindre la planète géante, sa trajectoire fut ajustée pour passer au plus près de deux astéroïdes, d’abord Gaspra en 1991, puis Ida deux ans plus tard, qui furent les tous premiers à être étudiés in situ, fût-ce brièvement, par une mission spatiale. Depuis, l’exploit est devenu une routine, et même une obligation : toute mission américaine s’aventurant au-delà de l’orbite martienne doit se débrouiller pour adopter une trajectoire qui lui permette de rendre visite à au moins un astéroïde. Les Européens ne sont pas en reste. Lors de son long voyage de dix ans vers la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, la sonde européenne Rosetta, lancée en 2004, en profita pour tirer le portrait de deux autres astéroïdes : Šteins en 2008, puis Lutetia deux ans plus tard. En 2020, la JAXA, l’agence spatiale japonaise, a encore amélioré le concept : après avoir rempli tous ses objectifs, en l’occurrence l’étude détaillée de l’astéroïde Ryugu dont elle a envoyé quelque échantillons sur Terre (voir épisode 40), la sonde a utilisé ses dernière réserves de carburant, parcimonieusement économisées, pour se aller visiter un autre astéroïde, 1998 KY26, qu’elle atteindra en 2031, non sans avoir profité du long trajet pour en survoler brièvement un autre, (98943) 2001 CC21, en 2028.
Et l’histoire n’est pas finie. On peut pousser encore plus loin ce concept de « cibles d’opportunités », en lançant une mission spatiale… avant même de savoir quelle sera sa cible. C’est l’étrange feuille de route de la mission Comet Interceptor de l’Agence spatiale européenne. Son but : survoler une comète issue d’un autre système stellaire comme 1I/ʻOumuamua, premier objet de ce type à avoir été découvert, en 2017. Voyageant à des vitesses folles dans le Système solaire, ces objets ne sont détectés que quelques mois à peine avant de passer au voisinage du Soleil (voire après leur passage) puis de s’en éloigner à tout jamais, sans qu’il soit possible de les rattraper tant leur vitesse de déplacement est élevée. L’idée est donc de disposer d’une sonde spatiale, qui patientera des mois voire des années sur une orbite de parking située à 1,5 million de kilomètres de la Terre avant, dès l’alerte donnée, de foncer vers une cible dont l’existence ne sera découverte qu’au dernier moment. Ce sera, comme pour Gaspra, Ida et quelques autres, seulement un bref survol, mais l’objet sera tellement unique que cela en vaudra la peine.
Gaspra, Ida et Lutetia, trois astéroïdes qui furent des cibles d’opportunités pour diverses missions spatiales.
Crédit : NASA/JPL, ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA