La tête dans les étoiles - Épisode 76 : Le pixel de la découverte
07/06/2022
En 1980 et 1981, les sondes Voyager survolaient la planète Saturne et renvoyaient des clichés d’une qualité incomparablement meilleure que ceux de la sonde Pioneer 11, la toute première à approcher la planète aux anneaux en 1979.
Parmi les innombrables découvertes permises par ces sondes figuraient de nombreuses structures situées dans les anneaux de la planète. Plusieurs clichés ont immédiatement intrigué les astronomes. Vers la bordure externe des anneaux, se trouve une zone vide de matière d’environ 300 km de large et observée de longue date depuis la Terre, appelée division d’Encke. Or, il apparut que sur certains clichés, le bord interne de la division présentait de très légères ondulations, ce que les astronomes interprétèrent comme étant une perturbation des anneaux causées par un satellite orbitant dans la division d’Encke, satellite dont il était possible de prédire les caractéristiques à partir des ondulations observées. Cependant, le hasard des prises de vue rapprochées des anneaux effectuées par les sondes Voyager fit qu’aucun cliché n’avait été pris dans la direction où se trouvait le probable satellite : les ondulations étant en avance sur la trajectoire du satellite, un cliché montrant les ondulations ne pouvait montrer le satellite simultanément. Se pouvait-il cependant qu’il ait été observé ?
Difficile à dire car en ce temps où l’informatique était balbutiante, l’étude des nombreuses photos de Saturne envoyés par les sondes Voyager (plus de 30 000 en tout) se faisait « à la main », par examen visuel de clichés imprimés sur papier – et tous ne l’étaient pas. Impossible donc d’en faire une analyse systématique. La donne changea à la toute fin des années 1980, soit presque une décennie après le survol des sondes Voyager, avec l’arrivée de moyens de stockage informatique bien plus performants, à savoir les CD-ROM. Disposant en prime d’une base de données complète des photos des sondes Voyager indiquant l’heure de prise de vue et la portion des anneaux imagée, l’astronome américain Mark Showalter put sélectionner à l’avance dans cette montagne de clichés lesquels pourraient montrer le mystérieux satellite dont il était en principe possible de prédire la trajectoire au cours du temps. Et sa persévérance finit par payer. Il trouva le satellite, qui était toutefois à la limite de ce qu’il était possible de voir. Tout d’abord parce que celui-ci était très petit : sa masse estimée indiquait un diamètre au mieux d’une trentaine de kilomètres. Pire, le cliché le plus exploitable avait été pris à grande distance et sa résolution n’était que de 50 kilomètres par pixels… soit moins que la taille attendue du satellite ! En prime, les anneaux y étaient vus sous une faible inclinaison. La division d’Encke ne faisait donc guère qu’un ou deux pixels de large, et le long de cette diagonale sombre cernée par le reste des anneaux, un pixel, un unique pixel était un peu moins sombre que ses voisins : le coupable était enfin découvert.
Bien que de très petite taille, ce satellite ainsi que quelques autres situés à proximité des anneaux (voir épisode 69) maintient ces derniers en place, les empêchant de s’étendre vers l’extérieur. Il joue donc le rôle de « berger » des anneaux, et fut pour cette raison assez logiquement baptisé Pan par son découvreur, du nom du dieu grec des bergers et des troupeaux.
Le cliché historique de la découverte de Pan par la sonde Voyager 2 en 1981 ; son découvreur, Mark Showalter, posant fièrement devant lui ; et Pan, imagé de près par la sonde Cassini en 2017.
Crédit : NASA/JPL, Mark Showalter, NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute