La tête dans les étoiles - Épisode 85 : Le Voorwerp de Hanny
09/11/2022
C’est sans doute un des objets les plus étranges de tout le cosmos, qui n’en manque pourtant pas. Même son nom est étrange : le Voorwerp de Hanny. Il a pour origine le prénom et la nationalité de sa découvreuse, la Néerlandaise Hanny van Arkel, « voorwerp » signifiant « objet » dans sa langue maternelle. Qu’est donc l’« objet de Hanny » ? Personne ne le sait exactement.
L’histoire commence avec le très sérieux Sloan Digital Sky Survey (ou SDSS), un projet américain de catalogue de galaxies entamé en 2000 et visant à cartographier la distribution de dizaines de millions de galaxies sur une zone couvrant 25 % de la voûte céleste. S’il est facile de déterminer la position et la distance des galaxies recensées, la caractérisation de leur morphologie, spirale, irrégulière ou elliptique, était à l’époque difficile à automatiser, d’où l’idée de demander aux internautes. C’est ainsi qu’a démarré en 2007 le projet de science citoyenne Galaxy Zoo, invitant tous les internautes à indiquer la morphologie des galaxies imagées à partir de clichés du SDSS, chaque galaxie étant soumise anonymement à plusieurs personnes afin de limiter les risques d’erreurs, volontaires ou non. Aucune connaissance en astronomie n’était nécessaire pour cela, divers modèles des différents types de galaxies étant fournis. C’est dans ce contexte qu’Hanny van Arkel, une jeune institutrice sans la moindre formation en astronomie, se voit attribuer une série d’objets. Parmi ceux-ci se trouve une fantomatique nébulosité d’un vert très marqué, dont la forme et la couleur évoquent à certains les spectres plus ou moins sympathiques du film SOS Fantômes. À l’évidence, cet objet ne ressemble en rien à une galaxie lointaine, mais plutôt à une nébuleuse située dans notre Galaxie… si ce n’est que sa distance, d’environ 700 millions d’années-lumière, indique qu’il s’agit d’un très gros objet situé à très grande distance. Plus étrange encore, on ne détecte quasiment aucune étoile dans le Voorwerp, qui semble n’être qu’un gigantesque nuage de gaz : rien n’indique pourquoi il brille, et surtout pourquoi il brillerait en vert.
L’unicité de cet objet fait qu’il est difficile d’en savoir plus. Pour rendre brillant du gaz, il suffit de l’éclairer, ou d’y déposer suffisamment d’énergie pour que les électrons des atomes qui le composent émettent eux-mêmes en retour tel ou tel rayonnement, dont la couleur dépendra des processus à l’œuvre. Mais le Voorwerp est de taille imposante et se trouve dénué d’étoiles, ce sont donc des quantités d’énergie considérables qu’il faut y transférer pour le rendre lumineux. De telles quantités sont occasionnellement émises par des galaxies, quand elles apparaissent sous forme de quasar. Leur cœur est parfois extrêmement brillant parce que la galaxie contient un trou noir géant qui, en engloutissant des quantités gigantesques de gaz, émet un rayonnement intense parfois focalisé en un jet relativement fin. Quand celui-ci est orienté vers la Terre, le cœur de la galaxie est tellement brillant qu’il en éclipse les parties périphériques de la galaxie hôte. Et si, en lieu et place de la Terre, on met, bien plus proche du quasar, un vaste nuage de gaz, alors celui-ci, intensément irradié, pourrait se mettre à briller comme le Voorwerp… si ce n’est qu’on n’avait jamais observé une telle configuration et surtout qu’on ne trouve aucun quasar dans son voisinage. Pire, les quasars correspondent à un état relativement précoce et bref dans la vie des galaxies, au point qu’aucune galaxie proche n’est vue sous forme de quasar : le plus proche d’entre eux, dénommé 3C273 (voir épisode 47), est situé à plus de deux milliards d’années-lumière, soit trois fois plus loin que le Voorwerp…
C’est toutefois une telle configuration qui recueille les suffrages des astronomes. Le Voorwerp se trouve à proximité immédiate d’une galaxie, dénommée IC 2497. Celle-ci pourrait avoir connu un bref épisode de quasar il y a quelques dizaines ou centaines de milliers d’années avant que le gaz alimentant le trou noir central ne se tarisse brutalement, faisant revenir la galaxie à son état normal. Le Voorwerp serait quant à lui le vestige d’une galaxie de taille moyenne qui serait, des centaines de millions d’années plus tôt, passée un peu trop près de IC 2497 et dont le gaz aurait été dispersé à ce moment-là. Longtemps après, alors qu’il se trouvait toujours dans le voisinage de IC 2497, il aurait été intensément irradié pendant le bref épisode de quasar et porterait, pour quelques temps encore, la rémanence lumineuse de cet épisode désormais terminé. Depuis la découverte de Hanny van Arkel, plusieurs versions de plus petite taille du Voorwerp ont été trouvées dans le voisinage immédiat de quelques autres galaxies dont on a pu déterminer qu’elles avaient connu un bref et récent regain d’activité. Baptisés « voorwerpjes » (« petits objets » en néerlandais), ces objets, rarissimes, apportent une confirmation indirecte d’un tel scénario dont le Voorwerp de Hanny serait le représentant le plus spectaculaire.
Le mystérieux Voorwerp de Hanny (en bas), situé à proximité de la galaxie IC 2497 (en haut)
Crédit : NASA, ESA, W. Keel (Université de l’Alabama) & Galaxy Zoo Team