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La tête dans les étoiles - Épisode 86 : Fertilité, tranquillité et tempêtes

22/11/2022

Dès la Préhistoire sans doute, les Anciens avaient remarqué que le disque lunaire est parsemé de taches sombres parfois circulaires. À partir du xvie siècle, les astronomes comprennent qu’elles sont dues à des différences de nature de la surface lunaire. Léonard de Vinci s’imagine qu’elles sont des continents, les zones plus claires étant peut-être des océans, mais c’est l’interprétation inverse qui s’impose dans le courant du siècle suivant. Les zones sombres sont peut-être bien de vraies étendues d’eau, des « mers », ou maria en latin.

Le premier à en faire une cartographie est le Flamand Michael Florent van Langren dit Langrenus (1598-1675). Comme bien des hommes de sciences de son temps, il est épaulé par de puissants mécènes, en l’occurrence le roi Philippe IV d’Espagne. C’est donc tout logiquement que la zone sombre la plus étendue est baptisée Oceanus Philippicus en son honneur, c’est-à-dire l’océan de Philippe. Tant qu’à faire, la Lune étant riche d’innombrables cratères, l’un des plus majestueux d’eux est aussi baptisé Philippe IV. Et comme il est inutile de s’attirer les défaveurs des puissants, nombre d’autres cratères sont nommés en hommage aux plus illustres d’entre eux, de notre Louis XIV national au pape Innocent X en passant par nombre de courtisans de Philippe IV aujourd’hui oubliés que Langrenus, membre de sa cour, côtoie régulièrement, non sans une certaine méfiance. L’océan de Philippe mis à part, la plupart des autres mers sont, elles, des noms de régions et pays d’Europe : mer d’Autriche, de Belgique, de Vénétie ou Nouvelle mer Caspienne…

Aucune de ces dénominations ne survivent à la mort de Langrenus : comment ne pas froisser les prochains puissants si toutes les grandes formations géologiques ont déjà été attribuées à leurs prédécesseurs ? Sous l’impulsion de Giovanni Riccioli (1598-1671), les noms des maria lunaires seront désormais des concepts. Ceux-ci seront globalement négatifs pour les formations du disque lunaire situées du côté gauche (sinister en latin) : l’océan de Philippe se transforme en Océan des Tempêtes, entouré de la Mer des Pluies, la Mer des Nuées et la Mer des Humeurs. Dans la même région, certaines maria sont encore moins bien loties. Trop petites pour être qualifiées de « mers », ce seront de simples marais : Marais des Épidémies et Marais de la Putréfaction. À l’inverse, le côté droit de notre satellite (rectus en latin) est plus bienveillant : les trois mers proches du pourtour nord sont baptisées mers de la Sérénité, de la Tranquillité et de la Fertilité, avec non loin la Mer du Nectar. Les hautes terres environnantes auront aussi droit à des noms favorables, comme la Terra Vitae, c’est-à-dire la Terre de la Vie, un nom aujourd’hui abandonné. Et comme les contraires s’attirent parfois, Riccioli baptise Lac de la Mort une petite zone sombre qui la borde.

 

Mers, lacs, marais ou océans, toutes les maria ont une origine commune : ce sont d’anciennes formations géologiques qui ont été remplies de lave. Situées en dessous du niveau moyen de la Lune, elles sont aussi situées à l’endroit où la croûte rigide de notre satellite est la plus fine. À l’époque où l’intérieur lunaire était encore chaud, le volcanisme s’est manifesté non pas par des volcans tels que nous les connaissons sur Terre, mais pas la fissuration du sol d’où ont jailli d’immenses flots de lave, qui ont aplani les maria et, en se solidifiant, leur ont donné cette couleur sombre. Les « mers » lunaires sont donc bien des mers… mais composées de lave solidifiée.

 

Une des premières cartes de la Lune, réalisée vers 1645 par Langrenus.